« Skiez 365 jours par an ». Ce slogan publicitaire des années 1980 de Tignes, une station alpine bâtie ex nihilo, témoigne d’une époque révolue : le développement des sports d’hiver et la croyance en une neige éternelle. Les glaciers fondent et le manteau neigeux rétrécit. Les remontées mécaniques pour le ski estival ne tournent plus en France que quelques semaines par an. Les domaines s’ouvrent aussi plus tardivement pour le ski d’hiver.

L’an dernier, la célèbre station savoyarde du massif de la Vanoise avait fermé ses remontées le 1er juillet après 10 jours seulement d’exploitation et décalé l’ouverture de son domaine, pourtant de haute altitude, après La Toussaint. Cette commune compte désormais 30 000 lits – l’échelle qui a remplacé le décompte du nombre d’habitants des stations – et près de 500 enneigeurs – la dénomination qui s’est substituée à celle, moins gracieuse, de canon à neige.

Comparaisons difficiles

Au cours des 50 dernières années, la durée d’enneigement dans les Alpes a reculé d’environ un mois et la moyenne des hauteurs de neige a diminué de plusieurs centimètres par décennie.

Cette phrase résume à grands coups de carres les résultats d’une recherche internationale d’envergure. Cette étude a porté sur des données recueillies entre 1971 et 2019 dans plus de 2 000 stations météorologiques des Alpes européennes. Elle utilise de nombreuses définitions et mobilise toute une série d’hypothèses et modèles qui, comme pour tout travail scientifique, présentent des limites et se prêtent à discussion.

Par exemple, la présence d’un seul centimètre d’épaisseur de neige suffit pour définir une journée d’enneigement, un seuil qui ne satisfera évidemment pas un skieur. Par ailleurs, les tendances estimées ne sont souvent pas statistiquement significatives, car la variabilité interannuelle des conditions d’enneigement en montagne est extrêmement forte alors que la période d’observation, quelques dizaines d’années, n’est pas si longue.

Le recul historique des flocons est également bien établi par des études de portée nationale, que ce soit pour les Alpes françaises, helvétiques ou autrichiennes. Notez que la réduction de l’enneigement en épaisseur et en durée est plus ou moins marquée selon les situations locales, en particulier l’altitude, la latitude, ainsi que l’exposition et l’inclinaison des versants.

Difficile du coup aux skieurs de comparer la fiabilité de l’enneigement entre les stations pour choisir son domaine. L’altitude moyenne du domaine n’est qu’une très grossière approximation et connaître avec précision l’intervalle entre le point bas et le point haut de la station n’apporte guère plus d’éléments pertinents de décision.

Rien de surprenant à cette évolution retracée par les travaux précédents : dès lors que la montagne se réchauffe, un peu plus d’ailleurs que la plaine, il s’ensuit qu’il pleut plus qu’il ne tombe de flocons, que la neige chute en moindre quantité, fond plus vite, arrive plus tard en début de saison et repart plus tôt en fin de saison. Adieu flocons d’antan.

Parkings saturés

Dans l’adaptation de l’industrie du ski au recul de l’enneigement, la partie est inégale entre l’offre et la demande, c’est-à-dire entre les stations et les skieurs. D’un côté, des équipements et des hommes spécialisés, ancrés dans un territoire, peu mobiles ; d’un autre, des touristes et vacanciers, soient des consommateurs labiles et qui se déplacent vite et facilement.

Sur le papier, les consommateurs de neige sont placés devant trois options : skier ailleurs, skier à d’autres périodes, ou choisir d’autres loisirs.

La première, contrairement aux deux autres, n’entraîne pas forcément une baisse de fréquentation et du nombre de jours-skieur en montagne (c’est-à-dire d’utilisateurs payant des remontées mécaniques par journée). En revanche, elle redistribue les cartes en faveur des stations qui bénéficient d’une plus grande fiabilité d’enneigement. Soit, à très grands traits, les stations de haute altitude. Tignes et Val Thorens plutôt que qu’Abriès ou Chamrousse, sans parler des stations du Jura, des Pyrénées, des Vosges et du Massif central.

Quelle déception en effet de trouver des télésièges et télécabines sans vie après avoir programmé à l’avance son séjour de ski. Adapter son calendrier de skieur à celui d’un enneigement plus fiable, par exemple partir en vacances de neige en février et non plus à Noël ou à Pâques, réduit la durée de fréquentation des stations et, vous l’avez peut-être remarqué avec une pointe d’agacement voire plus, allonge les queues en bas des remontées mécaniques et à l’entrée des selfs et restaurants d’altitude. Sans parler de la saturation des parkings…

Cet encombrement peut finir par refroidir les ardeurs des skieurs et en décourager plus d’un. Faute d’assurance d’avoir de la neige et à cause de la congestion, les destinations touristiques hivernales garantissant soleil, chaleur et sable fin gagnent en attractivité. D’autant que les plages exotiques sont alors moins bondées qu’en été.

Peu d’études cherchent à cerner le comportement des skieurs. Un paradoxe car la demande pour les sports d’hiver décroît dans les pays occidentaux, ce qui devrait inciter à en mieux comprendre les ressorts.

Rappelons en effet que le ski est un marché mature. Mesurée en nombre de jours-skieur, la demande mondiale fluctue depuis le début du siècle autour de 350-380 millions par an. Elle est en légère baisse depuis 2009-2010 dans les Alpes qui concentrent environ 40 % des jours-skieurs de toutes les pistes de la planète.

Une tendance à la baisse qui sortirait renforcée en incluant l’hiver de la pandémie. Rappelez-vous ces images de stations fantômes pour cause de fermeture des remontées et des limites drastiques imposées alors au déplacement. Avec cette précision administrative toute française qu’en montagne le rayon de promenade autour du domicile correspondait à 100 mètres de dénivelé et non, comme ailleurs dans l’Hexagone, à la distance parcourable.

Attention, n’imputez pas en totalité au manque de neige l’essoufflement de la demande pour les sports d’hiver, et donc la pure manifestation d’une adaptation parfaite des skieurs au réchauffement climatique. La démographie en est peut-être aujourd’hui encore la première cause et puis d’autres paramètres jouent également. Le vieillissement de la population réduit la clientèle de ski alpin et n’est pas compensé par l’arrivée en nombre suffisant de nouveaux pratiquants.

Cet article est republié pour partie à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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