Cette année, déjà marquée par le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré sur Terre, les décès liés à la chaleur dépasseront encore de loin la centaine de milliers dans le monde. En 2022 en Europe seule, la saison estivale, avait déjà causé près de 60 000 victimes sur le continent dont 5 000 en France.

Tentons pourtant de gommer nos émotions et de voir les choses de très loin, du balcon de Sirius aurait dit Voltaire. Avec hauteur mais sans donner de leçon. Et puis, cela tombe bien : Sirius portait le nom de Canicula chez les Romains en référence à la petite chienne du dieu chasseur Orion dont l’astre est voisin.

Reconnaissons alors que l’élévation de température due aux émissions de gaz à effet de serre réduit aussi la mortalité liée au froid ; qu’il convient de compter les morts par tonne de CO2, en plus ou en moins – mais aussi d’inclure les décès dans le coût social du carbone ; et enfin, bonne nouvelle, que nos efforts d’atténuation et d’adaptation permettront de sauver des vies humaines par millions.

Des morts liés à la chaleur mais aussi au froid

La surmortalité du réchauffement est manifeste depuis plusieurs décennies. Un demi-pourcent de la mortalité totale mondiale est en effet attribuable à l’effet du changement climatique sur les hautes températures. Un tiers en somme de tous les décès de chaleur.

Mais attention la relation entre élévation de la température et mortalité n’est pas à sens unique. Le réchauffement diminue aussi les journées et les pics de grand froid, et donc la mortalité qui leur est associée. Celle-ci ne se réfère pas spécifiquement au fait que des personnes meurent de froid par hypothermie. De même que la mortalité liée à la chaleur ne se résume pas aux décès par hyperthermie. Les températures plus basses ou plus hautes fragilisent les constitutions et accentuent les troubles pathologiques et, finalement, réduisent l’espérance de vie.

Le réchauffement entraîne donc plus de morts d’un côté mais moins aussi d’un autre. Ce second phénomène qui complique le décompte de la mortalité des nouvelles températures peut être très significatif. Au Mexique, par exemple, il a été calculé qu’une journée à plus de 32 °C se solde par un demi-millier de morts mais qu’une journée à moins de 12 °C par dix fois plus. Très peu d’habitations y disposent en effet de chauffage.

Il convient donc de tenir compte aussi de cette sous-mortalité. Mais dans quelle mesure compense-t-elle la surmortalité de chaleur ? En totalité pour les trente dernières années, selon une étude publiée dans The Lancet en 2021. Un résultat à prendre toutefois avec des pincettes à cause de la méthode suivie qui se fonde sur une température dite optimale, celle correspondant au minimum de décès observés.

Pour le futur, il n’y a en revanche pas de doute sérieux sur le caractère seulement partiel de la compensation. Une illustration en est donnée dans un article publié en 2021 dans la revue Scientific Reports.

Citons également une étude qui permet de chiffrer à 17,6 millions les décès additionnels en 2100 liés à l’élévation des températures – en prenant bien en compte la sous-mortalité liée au froid. Ce chiffre repose sur l’hypothèse d’une planète comptant 8 milliards de Terriens et sur l’estimation d’une augmentation nette de la mortalité qui s’élèverait à 220 décès pour 100 000 habitants, soit le ratio d’aujourd’hui pour les décès d’accidents cardiovasculaires. C’est considérable.

La sous-mortalité du froid doit être prise en compte sans fard et sans états d’âme car elle jette une lumière crue sur les inégalités face au réchauffement. Elle accentue les écarts de mortalité au sein d’un même État ou union d’États : entre la population des régions froides et des régions chaudes du Mexique, de l’Inde, des États-Unis ou de l’Europe, par exemple. Elle renforce les inégalités entre régions du monde : les États-Unis et l’Europe devraient connaître à l’horizon 2100 une surmortalité liée à l’élévation des températures légèrement positive et même négative.

La moyenne citée plus haut de 220 décès pour 100 000 habitants masque en effet une très grande hétérogénéité avec un ratio de +14,8/100 000 et de – 14,3/100 000 pour respectivement les États-Unis et l’Europe, tandis qu’il atteint +334/100 000 pour l’Union indienne.

Selon une étude de synthèse publiée en 2022 sous l’égide de l’American Thoracic Society, la mortalité liée au froid représente la moitié de la mortalité liée à la chaleur en Europe mais seulement le quart pour la région du Moyen-Orient et du nord de l’Afrique.

Les inégalités plus tranchées dès lors que l’on tient compte de la sous-mortalité liée au froid risquent de renforcer les égoïsmes et rendre plus difficiles encore les discussions politiques nationales et internationales sur les efforts d’atténuation. Mais rien ne sert de faire l’autruche. Ni l’expression ni l’animal n’existent sur Sirius.

Une jauge à utiliser vous-même

Le développement des travaux sur la mortalité des températures procure une nouvelle vision et apporte de nouveaux résultats sur le coût des émissions de carbone. Ils permettent de calculer les effets du réchauffement en décès additionnels par tonne d’émission nouvelle et d’intégrer la mortalité dans la détermination du coût social du carbone.

Explications de ce baragouin d’un Sirien :

Il faut compter 0,000226 décès associé à l’émission d’une tonne supplémentaire de dioxyde de carbone. Dit autrement et plus précisément, réduire les émissions de ce gaz d’un million de tonnes épargnerait 226 vies humaines entre 2020 et 2100.

Faisons plus parlant encore : les émissions de quatre Américains au cours de leur vie correspondent à un décès en plus sur la planète. Ce chiffre choc ainsi que les précédents sont issus d’un article du chercheur Daniel Bressler récemment paru dans Nature Communications. Ils reposent sur l’hypothèse d’une augmentation des températures de +4,1 °C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle et d’une estimation d’une surmortalité de chaleur cumulée au cours de cette période de près de 100 millions de personnes.

Cette métrique de la mortalité additionnelle par tonne de carbone en plus ou en moins offre une façon simple d’évaluer les effets des projets d’investissement qui émettent de nouvelles émissions ou les réduisent. Vous pouvez vous-même l’utiliser comme jauge lorsque vous hésitez à prendre le train ou l’avion ! De plus, contrairement à la métrique canonique du coût social du carbone, c’est-à-dire du coût monétaire pour la société d’une tonne en plus ou en moins, elle évite deux contraintes : celle de choisir un taux d’actualisation et celle de donner une valeur en dollar ou en euro à une vie humaine.

Pour lire la suite de l'article dans The Conversation :

Lire l'article original