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Accueil » Paroles d'experts » François Lévêque – Quelle est la température idéale pour être heureux ?
Dans un article publié récemment dans The Conversation, François Lévêque, Professeur d'économie à Mines Paris - PSL s'est penché sur l'effet du thermomètre... sur notre humeur et notre bien-être. Des études conduites par de nombreux économistes sur le lien entre températures et bonheur, reprises dans son article, il en ressort une conclusion - guère surprenante - à savoir une préférence pour des hivers doux et des étés cléments... toutes choses étant égales par ailleurs.
Les fortes chaleurs de cet été n’ont pas apporté que du malheur. Nos mauvais souvenirs d’estivant s’estompent pour ne garder que les bons, ceux d’un temps radieux hors canicule. Nous craignons maintenant d’avoir froid à 19 °C, température maximum recommandée par le gouvernement face aux risques de coupures cet hiver… Le thermomètre affecte en effet notre humeur et notre bien-être. Oui mais dans quelle mesure ? Pour le savoir, il nous faudrait aussi disposer d’un thermomètre des sentiments. Cela tombe bien : on en a un, et même plusieurs, qu’on peut alors relier à la température ambiante et à l’ensoleillement du moment.
Le premier thermomètre de ce genre a été imaginé par un fameux économiste irlandais, Francis Ysidro Edgeworth. Il l’a conçu sur le papier au début des années 1880 dans son maître ouvrage Mathematical Psychics. Son « hédonomètre », puisque c’est ainsi qu’il nomme sa machine psychophysique, enregistre la hauteur du plaisir de l’individu selon le « frémissement de ses passions ». Il est doté d’une sorte d’aiguille de sismographe qui oscille aux alentours de zéro lorsque la personne s’ennuie, jusqu’à tendre presque vers l’infini de trop rares fois. Edgeworth cherchait alors à armer la théorie économique d’un instrument de mesure de l’utilité, ou satisfaction, des individus.
Beaucoup plus tard et avec une ambition théorique moindre, des psychologues mais aussi des économistes se sont penchés sur les déterminants du bonheur avec une méthode très simple : demander aux individus d’exprimer leur satisfaction dans la vie, par exemple selon une échelle de 1 à 10. Cet hédonomètre du bien-être subjectif a été utilisé pour estimer l’influence de nombreuses variables comme le revenu, le niveau d’étude, le nombre d’amis, la richesse du pays, etc.
Il a aussi été employé il y a déjà presqu’un demi-siècle pour mesurer l’influence du beau temps. 84 étudiants de l’Université de l’Illinois (États-Unis) ont été interrogés. Ceux appelés au téléphone pendant les premiers jours d’ensoleillement après une période de temps maussade se sont déclarés plus satisfaits de leur vie que leurs camarades questionnés au cours d’un jour de pluie succédant à une période de mauvais temps.
Rien d’étonnant à ce résultat, mais il est un peu ennuyeux car il biaise par une variable transitoire l’évaluation de la satisfaction de la vie qui se veut une appréciation globale et sur la durée du bonheur des individus.
Par ailleurs, deux causes possibles peuvent être invoquées sans que l’on puisse les démêler. La première est physiologique. La luminosité agit sur le taux de sérotonine, un neurotransmetteur souvent appelé l’hormone du bonheur. Ou plutôt agirait car les preuves manquent encore. Doser la sérotonine passe par un prélèvement du liquide céphalorachidien, un geste médical à éviter sans bonne raison.
L’autre explication à l’effet bénéfique du soleil est d’ordre social. Le beau temps facilite des activités extérieures plaisantes, shopping ou plage par exemple. Les deux causes jouent sans doute en général et même simultanément quand on se retrouve par beau temps entre amis assis à la terrasse d’un café ou en famille lors d’un pique-nique à la campagne.
En tout état de cause, il est désormais bien établi que le temps ensoleillé influe positivement sur le bonheur, et ce pour nombreux pays occidentaux comme les États-Unis, le Canada, l’Allemagne, et l’Australie. Mais cette influence reste modeste par rapport à d’autres variables testées comme vivre en couple, disposer d’un emploi ou ne pas souffrir de handicap. En réalité, nous avons même sans doute tendance à surestimer l’influence du soleil. Daniel Kahneman, le seul psychologue lauréat du prix Nobel d’économie à ce jour, a par exemple montré que les étudiants de l’Université du Michigan, où le temps est souvent pluvieux, avaient tendance à davantage à accorder plus l’importance au climat pour expliquer leur bien-être que ceux de l’Université de Californie, et inversement.
Aiguillonnés par la nécessité d’anticiper les effets du réchauffement climatique, les travaux portent moins depuis une vingtaine d’années sur le beau temps à travers ensoleillement que sur la température. Citons en particulier un travail économétrique réalisé à partir d’observations sur 67 pays. Il montre sans surprise une préférence commune pour des températures plus élevées pour le mois le plus froid de l’année et des températures plus basses pour le mois le plus chaud. Ces observations sont tirées de la World Base of Happiness. Pas plus que l’économie du bonheur soit devenue une sous-discipline académique reconnue, vous ne vous doutiez sans doute pas qu’une base de données mondiale du bonheur puisse exister.
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