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Accueil » Paroles d'experts » Laurent Amice – CPF : la fin de « la liberté de choisir son avenir professionnel » ?
Dans une chronique publiée le 1er mars dans le Journal du Net - Management, Laurent Amice Berranger, Directeur de Mines Paris - PSL Executive Education, s'est interrogé sur l'impact de l'instauration annoncée d'un "reste à charge" pour les bénéficiaires d'actions de formation financées via leur CPF.
Créé par la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, le compte personnel de formation (CPF) a marqué une avancée dans l’approfondissement des principes de Sécurité Sociale. De par sa finalité et ses caractéristiques, le CPF peut en effet s’apparenter à une assurance contre le risque d’obsolescence des compétences sur un marché du travail toujours plus instable et évolutif.
Mis en œuvre depuis le 1er janvier 2015 pour les salariés du secteur privé et le 1er janvier 2017 pour les agents de la fonction publique, ce droit à la formation est ouvert à toute personne âgée d’au moins 16 ans en emploi ou à la recherche d’un emploi, voire dès 15 ans pour les jeunes en apprentissage, et jusqu’au départ à la retraite.
Initialement comptabilisés en heures, les droits attachés au CPF ont été monétisés depuis le 1er janvier 2019 par la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » du 6 septembre 2018, rendant ces droits plus facilement mobilisables. Depuis cette date, chaque individu voit son compte crédité de 500 euros par an, avec un plafond de 5 000 euros. Afin de favoriser l’accès à la formation des publics les moins qualifiés (niveau inférieur ou égal au CAP / BEP), ce montant est porté à 800 euros par an, plafonné à 8 000 euros au terme de dix ans. Davantage de droits sont également accordés pour les salariés à temps partiel, en ce sens où ils bénéficient des mêmes droits que les salariés à temps plein.
Mais c’est surtout le lancement par la Caisse des dépôts et consignations de l’application mobile « moncompteformation » le 21 novembre 2019 qui a permis son développement rapide ces quatre dernières années. A partir de l’application mobile, chaque actif peut accéder directement au montant des droits inscrits sur son compte et des abondements dont il peut bénéficier, ainsi qu’aux formations éligibles, et s’inscrire directement en ligne.
En quatre ans, près de 7 millions d’actifs ont mobilisé leur CPF pour se former, sans intermédiaire, et 1,25 million d’individus ont eu recours à leur CPF en 2023.
Les inégalités d’accès à la formation, dénoncées régulièrement à l’occasion de chacune des réformes de la formation professionnelle, ont – elles été effacées par la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » ? Le CPF a-t– il contribué à les corriger, en permettant aux moins qualifiés, aux plus fragilisés par les mutations économiques en cours, de se former relativement plus que précédemment ?
A en croire les chiffres publiés par la Dares, l’impact de cette réforme sur l’accès à la formation professionnelle serait positif : près des deux tiers des actifs ayant mobilisé leur CPF depuis 2019 ont un niveau Bac ou infra Bac. Parmi ceux qui se sont formés via leur CPF, 8 sur 10 sont employés ou ouvriers, et un tiers ont plus de 45 ans, soit une part significative de salariés en deuxième partie de carrière. 33% des bénéficiaires du CPF sont des demandeurs d’emploi ; parmi cette catégorie d’actifs, l’enquête de la Dares montrait que 35% des personnes en recherche d’emploi à l’inscription en formation étaient en emploi 8 à 9 mois après leur formation.
Un succès qui coûte en revanche chaque année quelques milliards d’euros à l’Etat, même si le financement du CPF est appuyé en grande partie sur la contribution légale des entreprises au financement de la formation professionnelle continue, représentant 1% de leur masse salariale pour celles de 11 salariés et plus. Ainsi, en 2023, le CPF a représenté 2 milliards de dépenses, contre 3 milliards en 2022, un recul imputable aux actions de régulation de l’offre et de lutte contre la fraude engagées par France Compétences et la Caisse des dépôts et consignations, gestionnaire de la plateforme moncompteformation.gouv.fr.
Ce qui n’a pas empêché le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique lors d’une intervention télévisée le 18 février de remettre au goût du jour l’instauration d’un reste à charge sur les formations financées via le CPF, et ce, pour des motifs d’économie budgétaire.
Mentionnée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2023, cette disposition n’avait en revanche pas été mise en œuvre jusqu’à présent. Le principe serait d’instituer un ticket modérateur représentant au minimum 10% du coût de la formation. Les individus en seraient exonérés dans l’hypothèse de l’abondement du compte du salarié en cas de solde insuffisant, ou pour ceux inscrits à France Travail.
Sachant que les dépenses consacrées au CPF en 2023 s’élevaient à 2 milliards d’euros, l’économie attendue serait de 220 millions d’euros.
Au même titre que l’accès aux soins, la mise en place d’une participation financière à la charge des titulaires du compte personnel de formation risque de contraindre l’accès à la formation via le CPF. Pour tous, probablement pas ?
Pour les cadres et catégories socioprofessionnelles les plus élevées, le reste à charge est déjà une réalité lorsque ces derniers mobilisent leur CPF pour financer des formations dites « Executive », dont le coût est bien souvent supérieur au montant disponible sur leur compte, sans que l’employeur n’abonde nécessairement. Dans ce cas, le salarié abonde de lui-même son compte pour pouvoir s’acquitter des frais de la formation auprès de moncompteformation.gouv.fr et concrétiser son projet de formation.
En revanche, pour les bas salaires, la mise en place d’une participation financière peut être une désincitation à mobiliser son compte personnel de formation, et limiter in fine sa capacité à se former et à développer ses compétences pour maintenir son employabilité ou se reconvertir : 10% du prix d’une formation qui en vaut 1 500 euros – un exemple de prix pour une formation initiale minimale obligatoire (FIMO) pour le transport de marchandises – cela correspond à un peu plus de 10% du SMIC net au 1er janvier 2024…
Alors que l’instauration du CPF en 2015 et sa monétisation en 2019 devaient conduire à réduire les inégalités d’accès à la formation tout au long de la vie professionnelle, l’instauration prochaine d’un ticket modérateur à la charge des titulaires du CPF risque de marquer la fin de « la liberté de choisir son avenir professionnel » pour certains, et en particulier pour les plus défavorisés.
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