Ce que vous a infligé la justice américaine fait froid dans le dos…

Tout le système judiciaire américain est basé sur des procureurs qui ont des pouvoirs démesurés. Au bout du compte, il n’y a pas de procès aux Etats-Unis. C’est de la justice négociée. Le fait est que les Américains utilisent le droit pour faire pression sur les entreprises et les gouvernements étrangers. Cela existait déjà sous Barack Obama. Les plus grosses amendes infligées à des groupes européens l’ont été sous son mandat. Les affaires BNP Paribas ou Alstom ont débuté lorsqu’il était à la Maison Blanche. Donald Trump ne fait que dire tout haut ce qui se fait tout bas dans son pays depuis longtemps. Lorsqu’il menace de « blacklister » une société allemande qui travaille sur Nord Stream 2, le projet de pipeline gazier appelé à relier la Russie à l’Allemagne, ou qu’il met fin à l’accord nucléaire conclu avec l’Iran et évoque des représailles contre les firmes européennes qui continueraient à travailler avec Téhéran, le message est clair.

Sous couvert de lutte contre la corruption, vous dénoncez une offensive contre les groupes européens.

Il suffit d’analyser froidement les faits et les condamnations infligées dans le cadre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), la loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d’agents publics à l’étranger. Sur les vingt-six firmes ayant eu à payer plus de 100 millions de dollars d’amendes, il y a cinq américaines, quatorze européennes, zéro chinoise et zéro russe. Les Américains ciblent là où il n’y a pas de rétorsion. Depuis 1977, les agents du FBI n’ont pas été capables de mettre une amende à une seule entreprise américaine de défense, de construction ou de télécoms, alors qu’ils ont sanctionné très facilement leurs concurrentes européennes. Jusqu’à l’an 2000, cette loi n’a quasiment pas été utilisée, les Etats-Unis ne se souciant guère que leurs firmes aient recours à la corruption à l’étranger. Le FCPA a commencé à être appliqué à partir du moment où il est devenu extraterritorial à la fin des années 1990. C’est le moment où l’OCDE a embrayé avec sa convention contre la corruption retranscrite dans des textes de loi de chacun de ses pays membres en 2000. Est survenu, enfin, le Patriot Act qui a permis aux agences de renseignement américaines de faire de l’espionnage économique, notamment à l’encontre des entreprises européennes comme Airbus, Alstom etc. négociant des contrats de plus de 200 millions de dollars. Ce qu’a révélé Edward Snowden.

On s’interroge aussi sur le rôle des cabinets d’avocats américains…

Dans le système judiciaire américain, il y a une interpénétration constante entre procureurs et avocats. Ces derniers n’ont pas les mêmes devoirs qu’en France. Dans le cadre d’une justice négociée, ils cherchent surtout à conclure un deal avec les procureurs. Quand une entreprise fait l’objet d’une enquête du Département of Justice (DoJ), elle doit mener sa propre enquête, mandater un cabinet d’avocats qui va éplucher tous ses comptes pour établir un rapport sur les fautes commises. Et ce dernier atterrit sur le bureau du ministère de la Justice. Face à l’armada américaine, je ne trouve pas normal que nos entreprises fassent appel à des experts anglo-saxons pour faire appliquer la loi Sapin 2. Il est temps de créer des spécialistes français de la compliance. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet avec le bâtonnier Paul-Albert Iweins. Bernard Cazeneuve, l’ancien Premier ministre, pousse à la roue au sein du cabinet August et Debouzy. On a voté des lois, il faut des acteurs répondant aux besoins.

Cet article est extrait d'une interview donnée à l'Opinion en février 2019 :

Consulter l'intégralité de l'interview sur le site de l'Opinion

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