Depuis l’adoption, le 10 novembre, de la directive sur la communication des données de durabilité (Corporate Sustainability Reporting Directive, CSRD) par le Parlement européen, un vent de panique souffle sur les entreprises européennes, qui, pour une grande majorité d’entre elles, n’étaient jusqu’à présent pas concernées par les obligations de diffusion d’informations sociales et environnementales.

La CSRD devient l’une des pierres angulaires du Pacte vert européen, dont l’objectif est de favoriser une économie soutenable afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Les différents volets du plan de finance durable, qui accompagnent le Pacte vert, se révèlent telles de nouvelles incitations à publier davantage d’informations sociales et environnementales, avant tout dans une logique de conformité aux textes de loi.

Or la multiplication des obligations de publication d’informations sociales et environnementales ou reportings extrafinancier, occulte souvent la nécessité pour les entreprises d’une analyse stratégique des enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités.

Stratégie et reporting sont liés

Avec les dispositions de la CSRD, qui entreront en vigueur progressivement à partir de janvier 2024, ce sont près de 50 000 entreprises qui seront concernées par des obligations de divulgation. Les exigences de la CSRD se font aussi plus précises et requièrent un plus haut degré d’expertise.

D’abord parce que les indicateurs de performance extrafinancière vont être normés. Ensuite parce que les informations extrafinancières devront répondre à la question « en quoi le modèle d’affaires et la stratégie de l’entreprise prennent en compte l’intérêt des parties prenantes et les incidences de l’entreprise sur les questions de durabilité ».

La CSRD rappelle ainsi que stratégie et reporting sont liés. Ce qui semble relever d’une évidence dans le domaine de la finance doit aussi être vérifié dans celui de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ! Et les incitations et obligations, toujours plus nombreuses, à publier des informations sociales et environnementales ne doivent pas faire oublier aux investisseurs et aux entreprises que les indicateurs de performance extrafinancière pertinents sont ceux qui résultent de la stratégie RSE engagée, qui seule donne le sens à la finalité des activités.

La Commission européenne en 2011 définit la RSE comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société », questionnant ainsi l’impact des activités de ces entreprises. En se situant à l’interface entreprise-société, la RSE place le souci de l’humain et de la planète dans le champ décisionnel des manageurs.

Sept grandes thématiques

Outil de référence du management de la RSE, largement mobilisée par les entreprises, la norme ISO 26000, publiée en 2010, en définit les champs d’application selon sept grandes thématiques : les droits humains, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés locales et la gouvernance d’entreprise.

Toutefois, les contours de la RSE dépendent aussi de la culture de l’entreprise, de sa mission, de ses métiers, de sa taille, des territoires dans lesquels elle opère et des attentes de ses parties prenantes. Il est donc crucial pour une entreprise d’analyser régulièrement les enjeux sociaux et environnementaux qui entrent dans le champ de sa RSE.

Les standards de normalisation des informations sociales et environnementales recommandent de questionner la pertinence de ces informations de façon à ne diffuser que celles qui peuvent éclairer la prise de décision des parties prenantes. La CSRD distingue les informations susceptibles d’affecter la valeur financière de l’entreprise de celles susceptibles d’expliquer la manière dont l’entreprise gère l’impact de ses activités sur la société.

Par exemple, la corruption peut être considérée comme un enjeu critique en cas de litige sanctionné par des amendes ; le climat également, car les activités de l’entreprise sont émettrices de gaz à effet de serre. Au-delà des exigences du reporting, les interrogations sur la pertinence des informations extrafinancières et sur l’impact des facteurs sociaux et environnementaux constituent donc un levier pour l’élaboration des stratégies RSE.

Une source d’innovation

Tout comme il est inutile de nier l’urgence pour une entreprise d’assumer la responsabilité des impacts négatifs – avérés et potentiels – de ses activités sur son écosystème, l’importance du risque financier des facteurs sociaux et environnementaux ne peut être niée. Les enjeux qui seront considérés les plus critiques sur ces deux dimensions, et donc à prioriser, seront ceux plébiscités à la fois par les clients, les fournisseurs, les investisseurs, les collaborateurs et les décideurs de l’entreprise.

C’est sur la base de ce consensus stratégique que l’entreprise va décider de s’engager, d’enraciner sa RSE au cœur de son modèle d’affaires et de communiquer en toute transparence les résultats de ces actions à travers les indicateurs de performance extrafinancière exigés par la réglementation.

La CSRD va encore plus loin en imposant aux entreprises européennes de publier des informations concernant leur capacité à répondre aux défis contemporains. Au-delà de l’engagement stratégique qu’elle sous-tend, la RSE questionne donc désormais jusqu’à la raison d’être même de l’entreprise et devient plus concrètement une source d’innovation du modèle d’affaires.

Ainsi, le reporting extrafinancier ne doit pas être considéré uniquement comme un outil de conformité au service de la finance durable mais aussi comme un outil garant de la durabilité des activités de l’entreprise.

Cet article est republié à partir du site du Monde, sur autorisation expresse. Pour toute autre demande d’autorisation, contactez droitsdauteur@lemonde.fr.

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