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Accueil » Paroles d'experts » Franck Aggeri- Il faut sortir l’innovation du paradigme futuriste et penser une innovation plus responsable
Dans un entretien donné au quotidien belge L’Écho le 12 août dernier, Franck Aggeri, Professeur de management à Mines Paris - PSL, est revenu sur le mythe de l'innovation considérée comme une fin en soi. L'innovation, véritable mot - valise, serait devenue un élément culturel, synonyme de changement, de transformation. Il faudrait à tout prix innover, mais pour quoi faire... ?
Le terme d’innovation était peu utilisé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Dans les quarante dernières années, on a pu observer une multiplication des sens et des domaines d’application de l’innovation. On parle d’innovations technologiques, managériales, financières, mais également d’innovations publiques, sociales, pédagogiques, écologiques. L’innovation est devenue une finalité en soi, un mot valise.
Il s’agit d’un mythe parce qu’il révèle une croyance très ancrée dans nos sociétés contemporaines: l’idée que l’innovation produit nécessairement des choses bonnes, une société meilleure. On nous répète, par exemple, que l’innovation est la condition de la croissance économique. On pense que pour être performante, une entreprise doit adopter les dernières innovations managériales. L’innovation véhicule aussi la promesse d’une émancipation sociale des individus où ils pourront libérer leur créativité. Les différentes formes de l’innovation contemporaine recouvrent toujours un mythe économique, social ou managérial.
L’idée d’innover n’est critiquée par personne aujourd’hui. On critique des produits, mais jamais le principe même d’innovation. L’innovation est devenue un élément culturel, synonyme de changement, de transformation. Elle est porteuse d’une connotation résolument positive, dont personne n’interroge les fondements ou les conséquences. Or, c’est bien là le problème. Les différentes formes d’innovation renvoient bien souvent à des représentations radicalement différentes, voire antagonistes. L’innovation dans la Tech n’a parfois rien à voir avec l’innovation sociale. Quelle est l’utilité sociale du «tout connecté», par exemple? La présence de l’électronique dans tous les domaines est-elle nécessaire? Quelle est l’utilité sociale d’une voiture connectée? À mes yeux, ce n’est pas facile à déterminer.
Au départ, l’innovation était vue comme un moyen, elle est aujourd’hui devenue une fin en soi. Le mantra actuel est: «Soyez innovant, innovez de plus en plus». Cette injonction s’impose à tous de nos jours. Il faut à tout prix innover. Mais pour quoi faire? Personne ne pose la question. On peine à définir les finalités de l’innovation, et ce, à tous les niveaux (dans les entreprises, le secteur public, etc.). Par ailleurs, les innovations génèrent très souvent des effets indésirables. Ils sont difficiles à repérer, car ils sont très imprévisibles et ne se manifestent que des années, voire des décennies après la mise en place de telle ou telle innovation. C’est tout le problème du décalage temporel et des effets d’échelle.
La créativité est l’une des composantes dans la novlangue de l’innovation. Pour faire du disruptif, nous répète-t-on, il faut être créatif. La créativité est la condition pour produire de l’innovation. Mais il y a une différence entre ces deux notions. L’innovation se traduit par des applications pratiques, sur le marché ou ailleurs, alors que la créativité peut s’exercer partout sans avoir pour autant vocation à produire des applications concrètes ou des choses utiles.
L’idée de progrès, héritée des Lumières, était qu’une élite éclairée était en mesure d’indiquer le sens de l’Histoire et le chemin souhaitable à emprunter pour l’ensemble de la société. Pendant très longtemps, il y a eu un consensus assez large sur cette idée. Au 19ᵉ siècle, par exemple, on était persuadé que le progrès de l’industrie allait enrichir la société.
Le progrès a longtemps fait l’unanimité. On y croyait dans les régimes capitalistes comme dans les régimes communistes. Aujourd’hui, la situation a changé, on ne sait plus dans quelle direction aller, du fait notamment de la crise écologique. Le monde est aujourd’hui devenu complexe et instable. Aucun responsable politique ou entrepreneurial ne peut prétendre dessiner les contours d’un futur souhaitable. Les idéologies, dont celle du progrès, se sont effondrées ou sont en crise.
L’innovation, parce qu’elle se présente comme une notion plus flexible, est donc venue combler un vide. Dans ce contexte incertain, la force de l’innovation est précisément de venir du bas. Alors que le progrès était l’apanage de l’élite, l’innovation est à la portée de tous. Chacun peut ainsi se projeter comme un entrepreneur économique ou social qui, par ses initiatives, a les moyens de transformer en profondeur la société. L’idée d’innovation plaît par sa dimension démocratique en quelque sorte. Elle incarne la société en mouvement, capable de fabriquer elle-même sa propre dynamique. La Silicon Valley en est l’image parfaite. Elle véhicule cet imaginaire de l’innovation qui prétend apporter une solution à tous nos problèmes.
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