A quoi reconnaît-on que quelque chose fait partie intégrante d’une culture ? En premier lieu, au fait qu’elle devienne une classification ou catégorie sociale naturalisée, nous dit l’anthropologue Mary Douglas. C’est aujourd’hui le cas de la notion, omniprésente dans les discours, d’innovation. Celle-ci est systématiquement connotée positivement.

Elle est devenue un impératif qui s’impose à tous : États, entreprises, organisations publiques et sociales, individus. « Soyez innovants ! » est l’injonction à laquelle nous sommes désormais confrontés sans que son sens soit explicité. Dans sa conceptualisation moderne, l’innovation est la condition de progrès, qu’ils soient économiques (le moteur de la croissance), sociaux ou environnementaux.

L’idée d’innover est devenue tellement naturelle qu’elle est désormais accommodée de toutes les façons possibles. Elle n’est plus seulement technologique, comme dans l’après-guerre, elle est devenue managériale, financière, écologique, sociale, frugale, publique, pédagogique, etc. Chacun de ces épithètes renvoie à des imaginaires radicalement différents.

Évidemment, les innovations sociales portées par des entrepreneurs sociaux qui visent à produire un monde plus convivial sont a priori fort éloignées de l’imaginaire prométhéen de l’innovation technologique de rupture incarnée par les start-up de la Silicon Valley. Pourtant, toutes ces innovations partagent un point commun : un biais pro-innovation, selon la formule du sociologue Everett Rogers, c’est-à-dire l’idée que l’innovation produit des impacts positifs, laissant dans l’ombre ses effets négatifs éventuels.

L’innovation, impensée dans ses fondements et ses conséquences

Si l’innovation échappe ainsi à la critique, c’est qu’à l’origine elle se présente comme un projet assorti de promesses. Les controverses, quand il y en a, portent rarement sur le fait d’innover mais sur sa matérialisation en bout de course sous forme d’objets, de technologies ou de services dont on découvre, une fois diffusées à grande échelle, qu’ils peuvent engendrer des effets négatifs pour la santé, la planète, le travail ou les modes de vie.

Par exemple, avant d’être stigmatisée pour ses effets indésirables sur la santé des populations exposées aux émissions de particules fines, la technologie diesel a été présentée comme une technologie « propre », moins émissive en CO2 que les véhicules à essence.

En second lieu, le propre d’une culture est d’être associée à une langue (une novlangue dans ce cas particulier) et à des imaginaires. L’imaginaire de l’innovation vante l’esprit d’entreprise, la créativité, les nouveaux espaces d’innovation (tiers-lieux et incubateurs) ; il promet la libération et l’émancipation des individus qui s’engagent dans des projets d’innovation, il est assimilé à une révolution et à un changement radical dans le cours des pratiques (la disruption).

L’innovation dévalorise les routines et s’oppose aux situations acquises et à la stabilité. Innover, c’est s’adapter sans cesse aux changements incessants qui surviennent 2, c’est saisir des opportunités inattendues et tirer parti des ressources et nouvelles connaissances qui émergent.

Dans notre société contemporaine qui valorise le changement et les capacités d’adaptation, l’innovation a remplacé la notion de progrès issue des Lumières, fondée sur la raison et la science. L’innovation n’a pas le côté rigide du progrès promu par les pouvoirs publics et les scientifiques. C’est une notion malléable et flexible qui vient du bas, portée par une myriade d’entrepreneurs. Elle est l’incarnation d’une société où les capacités d’action et les compétences sont distribuées entre de nombreux acteurs.

Cet article est republié pour partie à partir d’Alternatives Economiques.

 

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